mardi 20 mars 2018

[Avis] Filles de la mer de Mary Lynn Bracht


Quel livre, mon cher lecteur, à la fois dur et éprouvant à lire, mais aussi beau, intéressant avec deux héroïnes que je ne peux qu’admirer la résilience dont elles ont été capables tout au long de leur vie.


Oui, c’est encore un livre sur la Seconde Guerre mondiale, mais cette fois en Asie, à ce moment-là la Corée était colonisée par les Japonais. 
Tu vas apprendre au cours de ce livre le terrible destin de ses habitants. 
D’abord sous domination japonaise puis à peine la Seconde Guerre mondiale terminée ce fut l’Union Soviétique qui déclara la guerre au Japon, envahit la Mandchourie et entra en Corée du Nord. 
En 1950, ce pays sera en guerre le nord contre le sud.

Si l’auteure te narre ces périodes de l’histoire du pays ; elle va surtout te raconter le destin d’au moins 200.000 femmes kidnappées, emmenées sous de faux prétextes pour devenir des « femmes de réconfort » la première survivante à parler dans cette société encore très patriarcale où la pureté du corps de la femme supplante tout ne l’a fait qu’en 1992 et il faudra attendre pour qu’une statue de la paix représentant ces femmes soit dévoilée en 2011, 4 ans plus tard, en 2015 les gouvernements japonais et Coréens du Sud annoncent un « accord historique » au sujet des « femmes de réconfort » pour faire enlever la statue de la Paix et ne plus jamais soulever cette question. 
Ce qui revient une fois de plus à renier cet épisode, renier tout ce que ces femmes ont vécu ; pendant et après ; à leur retour, elles souffraient de syndrome post-traumatique ; elles étaient reniées et vivaient dans la précarité. 
Ça te met en colère ? Mais c’est pourtant un épisode réel de notre monde contemporain et comme le dit l’auteure :

 « En mars 2016, je me suis rendue à Séoul afin de voir Pyeonghwabi (la statue de la Paix) de mes propres yeux, pour la première – et probablement dernière – fois. Ce fut une sorte de pèlerinage : partir à l’autre bout du monde à la découverte de ce symbole qui, pour moi, représentait non seulement les viols commis pendant la guerre sur des femmes ou jeunes filles coréennes, mais aussi sur toutes les femmes et jeunes filles à travers le monde, en Ouganda, en Sierra Leone, au Rwanda, en Birmanie, en Yougoslavie, en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Palestine, et dans bien d’autres pays. La liste des victimes de ces viols est encore longue et continuera de s’allonger tant que les souffrances faites aux femmes en temps de guerre ne seront pas dénoncées dans les livres d’histoire, que l’on ne commémorera pas ces tragédies dans les musées et qu’on ne leur rendra pas hommage en érigeant des monuments comme la statue de la Paix. »

Cela fait froid dans le dos, cela me rend malade, mais tous les jours des milliers de femmes de par le monde souffrent des mêmes sévices, tortures et coups fatals.
Sur les 200 000 femmes seules, 44 étaient encore vivantes à l’écriture du roman.

Dernière précision avant que je te donne mon avis, l’auteure écrit ceci sur sa façon d’aborder ce récit 
« L’histoire des conflits à travers le monde est jalonnée de vérités controversées et de mensonges d’État. Les événements auxquels je fais référence dans ce livre ne dérogent pas à cette règle. Ma volonté a été de me concentrer sur le récit de la vie d’individus plutôt que d’un peuple ou d’un pays. J’espère aussi avoir réussi à montrer l’ampleur des guerres de Corée, dans lesquelles sont intervenus un grand nombre de protagonistes, autres que le Japon. Il n’est pas exclu que certaines inexactitudes soient présentes dans ce travail de fiction. »


En effet, Mary Lynn Bracht va te narrer tout ceci à travers deux femmes. 
Hana en 1943 et Emi en 2011.

Le récit démarre sur une cérémonie sur l’île de Jeju, l’intronisation de Hana comme haenyeo. 

« — Nous plongeons dans l’océan comme nos mères et nos grands-mères et nos arrière-grands-mères l’ont fait avant nous depuis des centaines d’années. Ce don est notre fierté, car nous ne dépendons de personne ni de nos pères ni de nos époux ni de nos grands frères, ni même des soldats japonais pendant la guerre. Nous attrapons nous-mêmes notre nourriture, nous gagnons nous-mêmes notre argent, nous survivons grâce à ce que la mer nous offre. Nous vivons en harmonie avec la nature (...) » cette tradition ancestrale existe toujours.

Hannah se languit d’être fille unique, elle voudrait tant une petite sœur, 7 ans plus tard son vœu est exaucé, elle promet à sa mère de toujours veiller sur elle, quoiqu’il se passe alors quand depuis la mer Hana aperçoit un soldat japonais se diriger droit sur sa petite sœur trop jeune pour plonger elle nage à toute vitesse et la cache. 
Ce soldat japonais c’est le caporal Morimoto.
Hana le suivra ne sachant pas ce qui l’attend afin de sauver sa famille. En suivant cet homme Hana, va plonger en enfer sur terre et va être amenée en Mandchourie. À 16 ans, encore vierge, elle devient « femme de réconfort » 10 heures par jour, six jours par semaine, Hana « sert » les soldats. 
Vingt hommes la violent quotidiennement, pour eux c’est un moyen de trouver la paix avant de partir au combat.

Quand tu lis les chapitres consacrés à Emi c’est ceux d’une très veille dame, toujours haenyeo, elle part bientôt rejoindre ses enfants adultes qui vivent maintenant à Séoul. Elle ne les voit pas souvent, mais ce voyage a une raison plus importante pour Emi. Elle est contente de revoir Hyoung et YoonHui et leur famille, mais Emi est venue à Séoul à cette date pour un tout autre motif.

Par son choix de construction de son livre en alternant les chapitres entre Hana et Emi, tu vas lire leur vie à toutes les deux.

En « direct » si je peux le dire comme ça pour Emi. Les passages la concernant sont horribles, difficiles et douloureux à lire. Comment des hommes peuvent-ils être aussi abjects ?
Le caporal Morimoto est un homme qui m’a glacé le sang à chaque fois qu’il est apparu dans le récit. Il a une obsession plus que malsaine sur Hana.
Cet homme la fera souffrir et mourir de peur pendant des années.
Si Hana a eu une vie de douleur, il en est de même, mais d’une façon différente pour Emi, elle, elle va souffrir surtout psychologiquement et devra attendre la fin de vie pour peut-être ne plus avoir honte. 
Pour Emi tu vas apprendre peu à peu son passé et ce qui la ronge depuis tant d’années, pourquoi elle fait des cauchemars chaque nuit.
Ces deux femmes ont un lien que je ne t’explique pas, mais toutes deux m’ont étonnée par leur force morale. Malgré tout ce qu’elles ont vécu, elles n’ont jamais perdu l’espoir. Toutes deux, pour affronter ces souffrances terribles, se réfugiaient dans leur souvenir d’enfance.
Hana arrivait à retenir sa respiration comme en mer quand elle plongeait le temps que durait sa torture.
Deux femmes fortes qui vont te donner une sacrée leçon d’humanité et d’humilité.

Un récit glaçant, édifiant et parfaitement maîtrisé. 
L’auteure te donne beaucoup d’information par le biais de ses personnages, mais ne te donne pas un cours d’histoire. 
Elle distille tout au long de son récit les informations, mais tu n’es jamais, à aucun moment envahi par le trop-plein de faits historiques. 
Tu en as, c’est pour ça que je l’ai lu, mais en aucun cas il n’est assommant surtout grâce au portrait qu’elle dresse de Hana et Emi. 

Deux psychologies fines, traitées avec beaucoup de pudeur et de retenue, oui, des passages du roman sont durs à lire émotionnellement, mais elle ne tombe pas dans la surenchère de détails macabres.
D’autres protagonistes parsèment le récit, je préfère ne pas te parler d’eux, mais te laisser découvrir par toi-même qui ils sont.
Des personnages tous très justes, certains saisissants et pleins de mystère.
Certains te marqueront pour leur bonté d’autres, par leur cruauté.
J’ai aussi apprécié le suspens maintenu autour des deux femmes. Hana arrivera-t’elle à s’échapper ? Emi trouvera-t'elle la rédemption ?

Le final m’a bouleversée, même s’il est porteur d’espoir, la symbolique et la résolution des questions sont fortes, tu as à la fois une fin ouverte et fermée, mais surtout deux femmes enfin en paix.

C’est un livre qui a une valeur symbolique pour ma part, bien sûr il porte sur ces femmes plongeuses et les combats qui ont secoué le pays, mais surtout Mary Lynn Bracht rend hommage à toutes les femmes de par le monde. 
À la fois un devoir de mémoire que tu as là, mais aussi un livre qui est intemporel, car combien subiront encore des guerres, combien les supportent chaque jour ?
Ce qu’elle explique à la fin du roman, ce qu’elle a voulu démontrer est, à mon sens, parfaitement réussi.
Un livre qui rend un vibrant hommage aux femmes.


De l’île de Jeju à la Mandchourie, de Séoul à la Mongolie, de la Corée du Nord à la Corée du Sud c’est un voyage périlleux qui t’attend. 
Périlleux, mais enrichissant, autant sur la partie historique que pour les informations des mœurs et coutumes des Coréens ; périlleux aussi par la souffrance et la très forte empathie que tu ressens pour Hana et Emi.



Filles de la mer de Mary Lynn Bracht - traduction de Sarah Tardy - roman contemporain, Seconde Guerre mondiale, Corée - 432 pages, 22€ - Édition Robert Laffont 

1 commentaire:

  1. Il s'agit justement de ma lecture en cours, et pour le moment jamais vraiment beaucoup. Comme toi, Morimoto me glace les sangs. Je trouve assez incroyable sa manière de se comporter et d'imaginer savoir ce qu'il se passe dans la tête de Hana... en tout cas, j'en suis au dernier tiers, et j'ai hâte d'être à ce soir pour pouvoir le finir.

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